Air France : bagarre dans un cockpit allumage oublié d'un moteur au décollage
Air France : bagarre dans un cockpit allumage oublié d'un moteur au décollage
En février, un Airbus A350 a été mis en poussée avec un seul moteur allumé.
Des pilotes qui en viennent aux mains dans le cockpit, des équipages qui oublient de démarrer le deuxième moteur avant le décollage, une remise de gaz mal exécutée...
Série
Selon nos informations, une série d'événements inquiétants se sont déroulés dans les avions d'Air France depuis quelques mois.
Rapport
Ils s'ajoutent à ceux mis en lumière par le BEA dans un rapport sévère publié qui pointait « une récurrence d'enquêtes montrant une adaptation des procédures, voire une violation délibérée de celles-ci amenant à une réduction des marges de sécurité ».
Incidents
Pourtant, le nombre d'incidents est resté stable en comparaison des standards d'avant la crise selon Air France.
Entre maintien du niveau de sécurité et recul préjudiciable, les avis divergent.
Vols
Au vu des milliers de vols opérés chaque jour par Air France, les événements pouvant avoir un impact sur la sécurité des vols sont inévitables sans pour autant remettre en cause de manière systémique le niveau de sécurité de la compagnie.
Incidents
Pour autant, depuis le début de l'année, la nature de certains incidents interroge et suscite des craintes au moment où le trafic redémarre fort après deux années de fortes perturbations dues à la crise sanitaire.
Rapport
Un sentiment renforcé par la publication d'un rapport du Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) le 23 août, mettant en cause la culture de sécurité chez Air France avec des écarts par rapport aux procédures jugés trop importants.
Procès
À quelques semaines du procès devant le tribunal correctionnel sur l'accident de l'AF447, le Rio-Paris qui a fait 228 morts en 2009, qui verra Air France et Airbus comparaître pour « homicides involontaires », la séquence est sensible. Et les analyses de la situation divergent.
Erreurs
Erreurs impensables selon des pilotes, selon des sources concordantes, Air France a recensé deux oublis de démarrage d'un moteur en amont du décollage, qui ont eu lieu en février.
Airbus
L'un s'est déroulé sur un Airbus A 321 et a été corrigé par l'équipage avant l'alignement sur la piste, mais l'autre sur A 350 n'a été détecté qu'au moment de la mise en poussée avant le décollage lors d'un vol qui devait relier Paris à Tel Aviv.
Procédure
Procédure normale pour économiser du carburant, si le roulage sur un seul moteur est une procédure normale pour économiser du carburant, oublier cette situation et ne pas planifier le démarrage du second moteur apparaissent comme des erreurs impensables !
Connaisseurs
Pour plusieurs connaisseurs de ces questions, notamment des pilotes, qui s'interrogent sur la façon dont cela est intégré aux check-lists, censées prévenir ce genre d'oublis.
Enquête
Confirmant l'information, Air France a indiqué avoir ouvert une enquête interne toujours en cours sur les conditions ayant mené à la séquence sur A 350.
Compagnie
La compagnie déclare aussi avoir soumis ces éléments au BEA qui n'a pas estimé devoir ouvrir une enquête.
Résultats
Enfin, la compagnie précise que, « sans attendre les résultats des investigations, la direction des Opérations aériennes de la compagnie a procédé à des mesures conservatoires par la suspension de cette procédure sur l'ensemble de ses flottes.
Rappel
Le temps d'effectuer le rappel des procédures de roulage sur un seul moteur (et des séquences de démarrage associées) auprès des équipages opérant l'Airbus A 350 ».
Communications
En avril 2023, la remise de gaz de l'AF011 avait également fait grand bruit, les communications entre la tour de contrôle et l'appareil ayant été diffusé sur Internet.
Procédure
Si cette procédure est tout à fait normale, et même nécessaire à la sécurité des vols en cas d'approche non-stabilisée, ce cas particulier était frappant du fait de sa mauvaise exécution par l'équipage.
Compagnie Air France.
Pilotes
Des pilotes en viennent aux mains, c'est un événement inédit au sein d'Air France et d'une autre nature qui est intervenu à bord avec une violente altercation entre les deux pilotes sur un Airbus A 320 entre Genève et Paris en juin 2023.
Informations
Selon nos informations, une empoignade musclée entre le commandant de bord et le copilote a eu lieu dans le cockpit, en phase de montée après le décollage à la suite du refus du copilote de suivre une consigne.
Coup
Après un coup porté par inadvertance selon la version de l'un des deux pilotes, ou une gifle selon celle de son collègue, les deux hommes se sont attrapés par le col, tout en restant à leur poste de pilotage, avant que l'un des pilotes ne lance sa plaquette en bois (sorte de porte-documents) au visage de l'autre.
Alerté
Alerté par le bruit, l'équipage commercial est entré dans le cockpit au moment où la tension retombait.
Hostilités
Pour éviter une reprise des hostilités, un PNC a passé la fin du vol assis derrière les pilotes, et a rédigé un rapport. Air France confirme le « différend » avec un échange de « gestes inappropriés ».
Gestes
Gestes inappropriés, la compagnie Air France assure néanmoins que « l'incident a pris rapidement fin sans affecter ni la conduite ni la sécurité du vol qui s'est poursuivi normalement ».
Arrêtés
Elle précise que les pilotes concernés sont, à ce jour, arrêtés de vol et dans l'attente d'une décision managériale. Celle-ci statuera sur l'issue et l'éventuel traitement à donner à l'événement.
Dispute
S'il n'est pas encore possible de dire si cette surprenante dispute trouve son origine dans des raisons professionnelles ou personnelles, elle vient se superposer aux autres événements déjà identifiés et sans doute à un certain nombre d'autres passés sous les radars.
BEA
C'est d'ailleurs le sens du rapport du BEA. À l'occasion d'un rapport d'enquête mettant en lumière un non-respect volontaire de procédure par un équipage lors d'une fuite de carburant, l'organisme a pointé plusieurs autres cas similaires au cours des dernières années.
Récurrence
Il a ainsi mis à profit ce rapport pour dénoncer « une récurrence d'enquêtes concernant des événements Air France menées par le BEA qui montrent une adaptation des procédures, voire une violation délibérée de celles-ci amenant à une importante réduction des marges de sécurité ».
Recommandations
De même, il a fait des recommandations dépassant le cadre de la seule fuite de carburant pour « faire évoluer la culture de sécurité dans le sens d'une valorisation d'une application plus stricte des procédures en vol » chez Air France.
Guillaume Schmid
Une prise de position extrêmement forte à l'encontre de la compagnie qui en a surpris plus d'un, à commencer par Guillaume Schmid, vice-président du bureau Air France Transavia du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL).
Incident
« Dans un rapport, on parle de l'incident en question, on essaie de comprendre les tenants et aboutissants. »
Conclusions
« Mais de là à en déduire des conclusions sur la culture de sécurité ou certaines pratiques de la compagnie, c'est aller un peu vite en besogne. »
Air France
De son côté, Air France déclare qu'elle « prendra en compte, évidemment, l'ensemble des recommandations du rapport.
Recommandations
Comme de nombreux autres éléments, ces recommandations viendront alimenter la démarche d'amélioration continue de la sécurité des vols de la compagnie.
Publication
« Sans attendre la publication officielle de ce rapport et suite aux échanges déjà engagés avec le BEA, certaines des recommandations sont déjà mises en œuvre. »
Audit
Un audit LOSA (Line Oriented Safety Audit) doit également être effectué pour l'ensemble de la compagnie d'ici la fin de l'année 2023.
Événements
Interrogé sur l'aspect très répétitif des événements, Air France indique qu'il n'y a pas eu d'augmentation significative du nombre d'événements avec la reprise d'activité par rapport aux standards connus avant la crise sanitaire.
Guillaume Schmid
Sur le terrain, Guillaume Schmid estime ne pas avoir non plus constaté un grand nombre d'incidents plus important qu'en temps normal.
Questions
Selon des bons connaisseurs des questions de sécurité des vols, le nombre d'événements signalés s'explique aussi par le fait que les pilotes d'Air France sont ceux qui font remonter le plus d'éléments concernant la sécurité dans le cadre de la « culture juste ».
Sécurité
Celle-ci instaure notamment qu'une remontée faite volontairement par un équipage contribue à l'amélioration globale de la sécurité et ne doit pas donner lieu à des sanctions en cas d'erreur, si ce n'est dans des cas de violation délibérée des procédures pour des motifs personnels et non au bénéfice de la compagnie et de ses passagers.
Compagnie
Certains s'alarment d'ailleurs du fait que les recommandations du BEA enjoignant Air France à « l'identification et la gestion individuelle des écarts aux procédures en vol » peuvent nuire à cette culture juste en limitant les reports volontaires et donc à la sécurité globale de la compagnie.
Application
Ils font également valoir que l'application des procédures doit rester un moyen pour améliorer la fiabilité des opérations et non une finalité en soi.
Logo de la Compagnie Air France.
Incident
Une nature d'incident qui interroge pourtant, plusieurs de ces connaisseurs émettent des craintes face à ces événements, en raison notamment de leur nature.
Pistes
Parmi les pistes de réflexions évoquées, l'impact de la crise sanitaire est largement présent. Toutes les personnes interrogées confirment que le très faible taux d'activité, avec des équipes peu présentes sur site, suivi d'une remontée en puissance très rapide des vols a joué un rôle très important.
Question
Mais certains d'entre eux se posent la question de savoir si cette problématique a suffisamment été prise en compte par le management, si les risques ont bien été évalués et si tous les moyens nécessaires ont été mis en place pour assurer la bonne tenue de la reprise.
Cockpit
Celle-ci ne se joue pas seulement dans le cockpit, mais bien dans tous les rouages de la compagnie. Ce qui a nécessité un travail immense alors que la faible activité a mis à mal le niveau de préparation et les automatismes.
Perdu
Sans compter que la compagnie a perdu 16 % de ses effectifs pendant la crise, notamment dans des activités comme la maintenance.
Niveau
Air France a néanmoins réussi à faire voler tous ses pilotes pendant la crise, avec le maintien d'un niveau d'activité supérieur aux minimas exigés par la réglementation.
Embauches
Elle met également en avant le fait d'avoir repris les embauches de pilotes dès avril 2021, avec l'objectif d'arriver à 700 recrutements d'ici fin 2022.
Assurer
Ce qui lui a d'ailleurs permis d'assurer son programme de vol cet été, là où une partie de ses concurrents a dû réduire la voilure.
Guillaume Schmid
Et là aussi, Guillaume Schmid semble indiquer que les choses ont été bien faites par la compagnie : « Pendant le Covid, nous avons su nous protéger. »
Consignes
Aujourd'hui, des consignes nous sont encore données pour éviter la sure optimisation. Pour moi, il n'y a pas eu de sujet pendant le Covid et depuis la reprise.
Plannings
« Nous savons que nous volons plus, que nous sommes plus fatigués avec des plannings plus exigeants, mais cela fait partie de notre métier de savoir poser des limites. »
Communications
De nombreuses communications ont également eu lieu à partir du printemps, à l'attention de toutes les catégories de personnel au sol et à bord, pour appeler à la plus grande vigilance pendant cette période de reprise du trafic.
Oubli
S'il reconnaît le caractère surprenant d'événements tels que l'oubli de démarrage d'un moteur, Guillaume Schmid juge que le risque découlant d'une telle situation est limité, l'avion s'arrêtant rapidement.
Causes
Surtout, il ne voit pas pour l'instant de causes structurelles pouvant expliquer ce type d'incident : « Ce sont des oublis. Et des oublis, il y en a régulièrement.
Erreurs
Cela fait partie des erreurs qu'il y a. Après, il faut savoir pourquoi elles ne sont pas identifiées et je crois qu'Air France a réagi là-dessus en stoppant immédiatement la procédure de roulage sur un moteur le temps de comprendre.
« Des communications ont été faites et maintenant, les choses ont repris. »
Avis
Un avis qui n'est pas partagé par tous. Après avoir rappelé qu'il y avait certes quelques comportements nuisibles, isolés et non-représentatifs, un expert de questions de sécurité de vols indique que les écarts récurrents par rapport aux procédures signalés par le BEA.
Insuffisance
Ne sont pas le fait d'un manque de professionnalisme de la part des pilotes, mécaniciens et agents au sol, mais plutôt d'une insuffisance managériale.
Incapacité
Selon lui, elle s'illustre par une incapacité à prendre en compte des signaux faibles ou encore par une tolérance face à des situations inacceptables.
Dégradation
Il évoque également une dégradation des conditions de travail depuis le début de la crise, avec un manque d'effectifs, une intensification de l'activité et un manque de moyens techniques nécessaires pour appliquer les procédures, avec dans le même temps une volonté du personnel à poursuivre au maximum l'exploitation pour le bien économique de la compagnie.
Facteurs
Même si cela se passe bien la plupart du temps, cette combinaison de facteurs peut selon lui conduire à une multiplication d'événements, voire à un accident majeur.
Procédures
La mise en place des nouvelles procédures en début d'année pour le calcul de performances sur la flotte Airbus, soit l'introduction d'un facteur possible de fragilisation dans un contexte déjà compliqué, interroge également.
Oublis
Les deux oublis de démarrage d'un moteur ont d'ailleurs eu lieu juste après le changement de procédures, signale un pilote.
Changements
« Si les changements de procédure sont bien accompagnés, cela ne pose aucun problème. Et dans le cas présent, je pense que cela l'a été. » Cela s'est très bien passé et il n'y a pas eu d'incidents notables », affirme à l'inverse Guillaume Schmid rejoint par un connaisseur du dossier pourtant plutôt critique par ailleurs.
Briefing
Air France a d'ailleurs décidé de suspendre la mise en place de nouvelles procédures à l'approche de l'été pour éviter de fragiliser le service, notamment les modifications de briefing décidées par Airbus.
Elles seront implémentées plus tard dans l'année 2023.
Retour
Enfin, certains évoquent même un possible retour en arrière suite à l'accident de l'AF447 ou du moins un relâchement de la pression sur ces sujets avec une prise de conscience moins importante que lors de la dernière décennie.
Situation
Ils regrettent cette situation, estimant que l'important travail entrepris avait porté ses fruits avec de véritables améliorations, l'un d'entre eux estime ainsi que des incidents comme celui de l'AF011 sont typiquement des choses qui n'arrivaient plus et qui ressurgissent à nouveau.
Coté
De son côté, Air France assure qu'il n'y a aucun relâchement et continue d'affirmer qu'il s'agit d'un impératif absolu.
Recommandations
Les 35 recommandations de l'Independent Safety Review Team (ISRT), groupe d'experts de la sécurité intervenu suite à l'AF447, semblent d'ailleurs toujours en vigueur au sein de la compagnie.
Accident
En revanche, la compagnie a bien rompu avec un principe appliqué suite à l'accident du Rio-Paris, avec l'adoption de nouvelles procédures sur la flotte Airbus.
Uniformiser
Même si elles ne concernent qu'un périmètre réduit, cela marque un retour à des procédures propres à Air France conçues notamment pour uniformiser certains éléments entre les flottes Airbus et Boeing.
Procédures
Or, la compagnie s'était évertuée depuis une dizaine d'années à mettre en place uniquement les procédures des constructeurs.
Instructeurs
L'un de nos interlocuteurs signale également qu'une grande partie des événements concernent des instructeurs, qui sont normalement « les exemplaires des exemplaires ».
Management
Avant même le rapport du BEA, il évoquait un sujet culturel sans pour autant arriver à déterminer s'il s'agit de laxisme, de négligence, de manque de vigilance ou de perte de conscience de la situation, et quelle part pouvait être imputée aux comportements individuels et quelle part à un problème de management.
Sanction
Quelle sanction en cas de faute délibérée ? La question des sanctions d'un pilote ayant commis une faute délibérée, notamment dans son propre intérêt, fait aussi débat.
Interrogées
D'après les différentes personnes interrogées, la composition paritaire (spécifique aux PNT) entre représentants de la direction et syndicats, devant trancher sur les questions disciplinaires limite les possibilités de sanctions lourdes.
Sentiment
D'où, selon elles, un sentiment d'impunité pouvant conduire à des dérives aux événements cités.
Évoluer
Cela pourrait évoluer avec la mise en place il y a quelques semaines d'un nouveau protocole de sécurité des vols.
Comité
Celui-ci prévoit qu'un comité des sages, composé de pilotes conjointement désignés par la compagnie et le syndicat représentatif (le SNP), puisse déterminer si un écart à la procédure est volontaire ou justifié, et s'il est nécessaire de lever l'anonymat de l'équipage en vue d'un traitement pouvant aller jusqu'à la sanction.
Indépendants
Bien que jugés indépendants, lesdits pilotes du comité appartiendront tous à Air France.
Évolution
Guillaume Schmid approuve cette évolution qui met fin à un certain flou sur la procédure à suivre : « Le protocole prévoit qu'avec l'analyse des vols, on se pose la question à chaque fois de ce qui est acceptable ou pas, et que derrière l'on assume qu'il y ait un traitement quand il a lieu d'être. »
Tapis
« Ce n'est pas quelque chose que nous mettons sous le tapis. Le SNPL y a participé et nous sommes très à l'aise avec ça. »
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